Hommage à Henry Sorensen (1928-2025)

Nous reprenons ci-après l’hommage publié le 13 juin dernier par La Gazette Drouot. Merci à Olivier Lange, directeur des publications et directeur des rédactions, ainsi qu’à Yannick Bapt, auteur de l’hommage, de leur autorisation.
Petit-fils d’un marchand de vin danois et fils d’une Américaine, Henry, le polyglotte, grandit heureux à Alger, où il fréquente très tôt les ateliers des peintres résidant à la villa Abd-el-Tif. À la fin des années 1950, il s’installe à Paris dans un petit logement que lui loue la couturière Madeleine Vionnet, qui deviendra son amie.
À cette époque bénie où les grandes collections de mobilier français – Niàrchos, Getty, Gulbenkian – se figent sur les papiers glacés des magazines d’art, Henry a ses entrées sur la Ve Avenue, chez Jayne Wrightsman. Il écrit une lettre sur papier à en-tête de la YMCA pour visiter en tant qu’« étudiant » la maison d’Albert Barnes à Philadelphie, toque à la grande porte du palais Doria à Rome, où le prince reconnaît en lui le lettré poli, et lui présente sa fantastique collection de tableaux anciens…
Fidèle à son Algérie natale, il chine à Drouot toutes ces vues anonymes d’Afrique du Nord, car il reconnaît chaque endroit, chaque main d’artiste. En 2008-2009, ses collections de dessins et tableaux seront dispersées chez Tajan en deux vacations, et partiellement données au Centre de documentation historique sur l’Algérie (CDHA).
Drouot est son lieu, et surtout la Gazette, sa seconde maison, qu’il hante toujours de sa bienveillance. Il est journaliste chez Connaissance des arts, puis prend en charge, à la demande de Jacques Boussac, le livre annuel Drouot, l’art et les enchères, à partir de 1985 et ce jusqu’en 2000. Chaque légende y est maniée et enrichie par l’auteur. Tout comme les livres de sa bibliothèque, revêtus de son ex-libris, sont des mille-feuilles où s’insinuent découpes de catalogues et morceaux de papier griffonnés de transcriptions d’inventaires d’archives. Il est l’auteur de nombreux articles de référence : « Quelques meubles faits pour Madame de Pompadour à Bellevue » (Bulletin de la SHAF, 1963) ; « Des ébénistes, Sèvres et les marchands merciers » (Connaissance des arts, décembre 1978)… Il est aussi le découvreur de pièces de mobilier historiques. Il signale à Jacques Tajan, dans l’une de ses ventes en 1976, la présence d’une partie du meuble coquillier d’Ange-Laurent La Live de Jully, précurseur du néoclassicisme, catalogué alors comme d’époque Empire. Il incite le collectionneur Djahanguir Riahi, pour lequel il fait des recherches, à acheter cette commode de Latz, personne n’ayant relevé son origine, la replaçant naturellement dans la chambre de la Dauphine au château de Choisy en 1764.
Héros d’un jour, globe-trotter toujours, il prend le Queen Mary pour rallier par la mer New York, empreinte le Channel dans la première rame de l’Eurostar, fait son baptême de l’air en parapente à 70 ans.
Henry a gravi une dernière fois le mont Olympe des historiens d’art. Ce virtuose de notre langue, ce Monsieur « De sorte que », y dialogue à nouveau avec ses chers amis disparus, James Parker du Metropolitan, sir Francis Watson de la Wallace, David Dubon du Philadelphia Museum et Jean-Pierre Baroli, identificateur des initiales BVRB.
Tout est écrit, une page aquarellée et parfumée se tourne, une silhouette bienveillante s’éloigne… La Gazette s’en souvient.
Hommage par Yannick Bapt, le 13 juin 2025.
Le Dr Yannick Bapt, historien de l’art, est l’auteur d’une thèse sur les BVRB.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Brice Leibundgut (9 juillet 2025). Hommage à Henry Sorensen (1928-2025). Société de l’Histoire de l’Art Français (SHAF). Consulté le 10 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14b7m
