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Hommage à Thérèse Burollet (1933-2025)

Thérèse Burollet

Nous reprenons ci-après l’hommage publié le 18 juin dernier par La Tribune de l’Art. Merci à Didier Rykner, directeur de la rédaction du magazine, et à Pierre Curie, auteur de l’hommage, de leur autorisation.

Disparue le 17 juin 2025, Thérèse Burollet était née le 11 février 1933 dans une famille de militaires des services médicaux (son père et l’un de ses frères furent généraux) et d’intellectuels (sa mère était agrégée de philosophie, sa sœur avait épousé un professeur de littérature française de Berkeley et son autre frère était géologue). Elle passa toute son enfance et son adolescence à Toulouse, notamment les années de la guerre qui laissèrent sur elle une empreinte durable. À la Libération, elle découvrit le cinéma, en particulier américain, et le 7e art sera l’une des grandes passions de sa vie.

Poursuivant ses études à Paris, pensionnaire à Notre-Dame-de-Sion, elle étudia à la Sorbonne, d’abord l’histoire géographie, puis l’histoire de l’art avec André Chastel dont elle suivit les cours à l’Institut d’art, rue Michelet. Elle rencontra alors son assistant, Jacques Thuillier, dont elle sera très proche et avec qui elle partagera le même goût – alors tout à fait marginal en France – pour l’art pompier : n’intitula-t-elle pas, non sans un brin de provocation, l’un de ses premiers articles, publié à New-York en 1967 : « Antidesestablishmentarianism » ? Chastel, qui envisageait de la diriger dans des travaux consacrés à la Renaissance, tint compte de son inclination et accepta qu’elle étudie l’œuvre d’un grand sculpteur oublié ami de Degas, Albert Bartolomé (1848 – 1928). Les contraintes d’une carrière professionnelle bien remplie ne lui permettront pas de rédiger une thèse, mais durant des décennies, Thérèse Burollet consacrera des recherches et des publications à ce contemporain de Rodin, longue enquête qui aboutit en 2017 à la publication du catalogue raisonné de l’artiste chez Arthena.

Thérèse Burollet a fait toute sa carrière de conservateur à la Ville de Paris, d’abord au musée d’art moderne, de 1961 à 1966. Dans ce cadre, elle travailla pour un bureau en charge du patrimoine municipal (embryon de la COARC) où, chargée de l’inventaire et de la protection de sculptures dans les cimetières parisiens, elle fut aussi amenée à superviser le tri de grands plâtres préparatoires aux bronzes des espaces publics de la capitale, la plupart fondus pendant l’Occupation. Elle parvint à les faire transférer intégralement du dépôt d’Auteuil où ils se trouvaient à celui d’Ivry-sur-Seine, une ancienne usine d’épuration d’eau qu’elle convainquit les autorités municipales de consacrer à leur conservation pérenne. Elle dirigera ce dépôt de 1974 à 1983, responsable d’un ensemble de quelque 2000 sculptures et 1000 peintures, principalement des esquisses issues des concours pour les décors publics municipaux. Son action décisive pour sauver ce patrimoine alors méprisé permettra ultérieurement l’organisation de deux expositions mémorables au Petit Palais, Le triomphe des mairies (1986), consacrée aux grands décors peints des hôtels de ville parisiens de la fin du XIXe siècle, et Quand Paris dansait avec Marianne (1989), centrée sur la sculpture des monuments officiels. En 1984, elle jouera aussi un rôle important dans l’initiative de la restitution par la France à Berlin des reliefs de bronze d’Albert Wolff décorant la base de la colonne de la victoire du Tiergarten, confisqués en 1947 et oubliés à Auteuil.

Au musée Cognacq-Jay, dont elle fut nommée directrice en 1967, elle s’attela à un important travail sur les collections. Elle publia un catalogue complet des peintures et des dessins en 1980, ouvrage qu’elle déclinera en deux volumes actualisés en 2004 et 2008. Elle s’intéressa aussi aux objets d’art de porcelaine qu’elle publia en 1983. Nourrissant une véritable passion pour Meissen, elle se rendit pour ses recherches, non sans difficultés, à la manufacture saxonne qui, à l’époque, se situait en Allemagne de l’Est. Elle nourrit dès lors des projets d’exposition sur le sujet à Paris, mais sans succès. Cependant, en 1996, elle fera acquérir par le musée du Petit Palais une importante et spectaculaire pendule à orgue du XVIIIe siècle, ornée d’un concert de singes de Meissen.

Nommée directrice du Petit Palais en septembre 1983, au départ d’Adeline Cacan de Bissy, Thérèse Burollet va y conduire une politique d’expositions résolument tournée vers le XIXe siècle, avec des choix post-modernes qui déplairont fortement à une certaine critique sclérosée dans une vision idéologique de l’impressionnisme et de la modernité. Il est vrai que William Bouguereau (1984), James Tissot (1985), Franz-Xaver Winterhalter (1988) sont des valeurs sûres de l’art académique, alors bien mieux apprécié en Amérique qu’en Europe, mais qui avait toute sa place au Petit Palais, temple du goût 1900.

Parallèlement à ces monographies, Thérèse Burollet organisa avec l’Association française d’action artistique (AFAA, émanation culturelle du ministère des Affaires étrangères) de grandes expositions bilans consacrées à des écoles nationales européennes du XIXe siècle. Ce sera d’abord l’Allemagne en 1984-1985, son pays de prédilection avec la Belgique, avec Symboles et réalités : la peinture allemande 1848-1905. Elle poursuivra d’ailleurs ce cycle germanique à l’occasion de l’une de ses toute dernières expositions au Petit Palais, Marianne et Germania, 1789-1889 : un siècle de passions franco-allemandes (1997-1998), montée par Marie-Louise von Plessen et Daniel Imbert. Mais auparavant, en 1987, elle avait présenté au public parisien Lumières du nord : La peinture scandinave : 1885-1905, une manifestation dans laquelle il put pour la première fois admirer les œuvres mélancoliques de Hammershøi, les grands panneaux du Kalevala de Gallen-Kallela et les toiles de bien d’autres artistes alors encore assez inconnus en France comme Zorn, Edelfelt, Krøyer, Larsson, Schjerfbeck… Ce sera ensuite, en 1987-1988, Soleil et ombres l’art portugais au XIXe siècle.

L’ouverture du musée d’Orsay, fin 1986, officiellement consacré aux arts de 1848 à 1914, réorienta de fait la programmation du Petit Palais : ainsi, les monographies telles que Hodler (1983) ou Ensor (1990) s’y raréfieront, jusqu’au directorat de Christophe Leribault qui en reprendra le fil. Thérèse Burollet choisit alors d’aborder la culture visuelle de grandes civilisations : Carthage, l’histoire, sa trace et son écho (1995), À l’ombre du Vésuve – collection du Musée d’archéologie de Naples (1995-1996), La Cité interdite. Vie publique et privée des empereurs de Chine (1644-1911) (1996-1997), La gloire d’Alexandrie (1998). Parmi la quarantaine d’expositions auxquelles Thérèse Burollet a participé à divers titres, les catalogues de celles du Petit Palais ont donné lieu à de superbes textes d’introduction, pensés par une grande intellectuelle d’une immense culture, souvent reliés par une subtile coda à la poésie et au cinéma, illustrant par exemple Hölderlin avec Jean-Marie Straub, von Kleist avec Éric Rohmer… Parallèlement à ces manifestations, Thérèse Burollet consacra beaucoup d’énergie à défendre les collections du musée, régulièrement menacées, soit à travers leur exposition, en particulier les considérables fonds graphiques (Rembrandt, 1986 ; Schongauer, 1991 ; Fragonard et le dessin français du 18e siècle, 1992), soit par de nombreuses acquisitions, généralement effectuées grâce aux regrettés arrérages du legs Dutuit.

Elle était, m’a-t-on dit en 1990, un « monstre sacré des musées parisiens ». Elle appartenait à cette génération des élèves d’André Chastel qui avaient mis l’histoire de l’art au cœur de leur pratique professionnelle. Son fort caractère lui a souvent nui, notamment auprès des politiques, et elle prétendait avoir « le dégoût très sûr », mais elle avait aussi grand cœur, aimait la vie, les voyages, le travail en équipe, l’humour. Ses dernières années difficiles, marquées par la maladie, n’avaient pas entamé sa curiosité insatiable, nourrie quotidiennement par la lecture et la télévision.

Hommage par Pierre Curie, le 18 juin 2025.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Brice Leibundgut (8 juillet 2025). Hommage à Thérèse Burollet (1933-2025). Société de l’Histoire de l’Art Français (SHAF). Consulté le 10 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14att


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