Exposition « Rodin/ Bourdelle. Corps à corps » au musée Bourdelle

Précipitez-vous au musée Bourdelle, dont on ne se lasse pas d’admirer le fonds d’atelier dans la verdure du quartier Montparnasse. Car vous y verrez reconstituées la collaboration et le parallélisme entre les deux grandes figures de la sculpture, puis l’autonomisation du cadet, Bourdelle par rapport à celui qui avait été son patron, son maître, son modèle. 160 œuvres, vous montreront les relations proches puis divergentes entre les deux sculpteurs. Les deux immenses Adam de bronze qui vous accueillent expriment une vision parallèle de la force du corps humain qui anime un large pan de leur production. Face au génie de Rodin (1840-1917), Bourdelle son cadet de vingt ans (1861-1929) a dû s’affirmer, grâce d’ailleurs à l’appui d’un Rodin déjà célèbre. Ainsi lors de la commande du monument aux combattants par la ville de Montauban, le maître avait soutenu le projet du jeune montalbanais.

Entré dans l’atelier de Rodin, comme praticien des marbres, à l’instar d’une équipe nombreuse qui taille, peaufine, multiplie les œuvres, Bourdelle cherche à s’affirmer, sans effet parfois, comme lorsqu’il entoure d’un voile le buste de Rose Beuret. Des photographies témoignent de cet effort d’entourer de mystère le portrait de la maîtresse de Rodin, une tentative que celui-ci n’appréciera pas.  Bourdelle restera pourtant quinze ans (1893-1907) à frapper de son marteau sur son ciseau dans l’atelier de Rodin.

Une somptueuse suite de portraits montre l’inachevé, le non finito, à la manière de Michel-Ange, la référence absolue. Les bustes, féminins surtout, aux visages savamment lissés et lustrés, semblent sortir d’une gangue de marbre, à peine dégrossie, où les coups d’outils bien visibles expriment l’effort du sculpteur – donc du praticien. Mais face au marbre immaculé, la pierre de l’Eve après le péché montre un corps plus délicatement beige, poudreux, sensuel.

On passe entre deux haies parallèles formées par les sculptures collectionnées par les deux artistes. On remarquera le moulage en plâtre du même Apollon de Thera (Santorin), Kouros archaïque aux formes épurées dont on suppose qu’il a pu nourrir les tendances de Bourdelle vers le classicisme épuré qu’il démontrera dans la France ou les reliefs du théâtre des Champs Élysées.

Dans une vitrine, s’affiche la volonté commune de donner de la couleur aux volumes par l’usage de la pâte de verre. Ici apparaît le rôle d’Henry Cros (1840-1907), dont on a pu voir une rétrospective au musée des Arts décoratifs au printemps dernier. Si Bourdelle disait de Cros que son œuvre “rassemble toute l’Antiquité dans une âme nouvelle”, Rodin lui a confié de délicatement colorer le masque mystérieux d’Hanako.

On pourra ensuite comparer les voies divergentes. Dans le grand décor, le foisonnement échevelé et majestueux de la Porte de l’Enfer, s’oppose à l’apaisement puissant et stylisé des formes de Bourdelle qui annoncent déjà le style Art déco. Après que les témoignages des sculpteurs postérieurs viennent montrer la vitalité de l’enseignement des deux maîtres, le visiteur pourra aller revoir dans le musée les créations les plus célèbres de Bourdelle.

Compte-rendu par Geneviève Bresc.

Exposition du 2 octobre 2024 au 2 février 2025 au musée Bourdelle.

Catalogue :

Ophélie Ferlier-Bouat, Jérôme Godeau, Colin Lemoine et Véronique Mattiussi (dir.), « Rodin / Bourdelle. Corps à corps », Catalogue de l’exposition, Éditions Paris Musées, 2024, 256 pages.

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