Visite de l’exposition « Soieries impériales pour Versailles » au Grand Trianon

Sous la direction de Muriel Barbier, co-commissaire de l’exposition avec Noémie Wandart, les membres de notre société ont pu admirer le 20 juin 2024 un ensemble extraordinaire de soieries dans une belle muséographie qui occupait la galerie des Cotelle du Grand Trianon. Muriel Barbier, actuellement directrice du patrimoine et des collections du musée national du château de Fontainebleau, a été longtemps conservatrice des collections de tissus du Mobilier national (et membre de notre société). Nous avions déjà eu l’occasion de bénéficier de ses compétences sur le sujet lors de la visite qu’elle avait dirigée sur les palais disparus de Napoléon au Mobilier national. Le Mobilier national a eu l’occasion de bénéficier de crédits du plan de relance qui ont permis à Muriel Barbier d’opérer le récolement et la numérisation du fonds des soieries qui avait déjà fait l’objet d’un catalogue par la regrettée Chantal Coural, aussi membre de notre société. Cette opération, exceptionnelle par son ampleur, est à l’origine de cette exposition, qui a été en outre enrichie par les prêts du musée des châteaux de Versailles et Trianon, du musée des Tissus de Lyon et du fonds de la maison Tassinari & Chatel.

La présentation s’ouvre sur les circonstances politiques, économiques et techniques qui ont présidé aux grandes commandes impériales. La Révolution avait interrompu l’activité des célèbres soieries de Lyon, de toute la chaîne de production, laissant la ville dans un marasme économique et social. Napoléon décida de relancer la production par des commandes d’envergure du Mobilier impérial, souhaitant conserver des témoins de toutes les techniques utilisées, de diversifier les décors, de faire appel à l’ensemble des acteurs. Cette décision politique s’inscrivait dans un retour au grand décor textile et à l’affirmation de l’Étiquette impériale. En parallèle, des innovations techniques s’affirmaient : le métier de Joseph-Marie Jacquard, dont une maquette est présentée, le régulateur de Dutillieu pour permettre la régularité des lés, les nouveaux colorants, dont le bleu de Prusse. Pour assurer la qualité des commandes du Garde-Meuble, un contrôle de qualité est effectué.

A la suite de la décoloration de soieries posées au château de Saint-Cloud en 1806, le soyeux Camille Pernon (1753-1808) est mis en accusation (l’échantillon du lé, qui a servi de preuve au procès, est ici présenté). Une réflexion sur les teintures est mise en œuvre par Jean-Marie Roard, directeur de l’atelier de teinture des Gobelins. Muriel Barbier nous a présenté les boites qu’elle a retrouvées, contenant les échantillons d’écheveaux, classés par couleur, destinés à servir de modèle aux manufactures lyonnaises. Plus loin, on peut remarquer les modèles, les  “Mises en carte” plus grands que les motifs à tisser qui permettaient de discerner la position de chaque fil. Ils sont conservés encore dans la maison Tassinari et Chatel.

Dès les débuts de l’Empire, Napoléon avait rêvé de transformer Versailles en un gigantesque palais, que ses architectes P F L Fontaine et Jacques Gondoin dessinent. L’album enrichi d’aquarelles de Gondoin est exposé. Si le projet colossal ne se fit pas, le Mobilier impérial commença à préparer le décor textile des différents espaces, selon les gradations de l’étiquette. La première grande commande en 1806 fut confiée à Camille Pernon, dont celle de la salle du trône, elle fut suivie en 1811 par celle de 80 kilomètres de tissus, divisée entre 28 manufactures, dont celle des frères Grand successeurs de Pernon, qui livrèrent les décors de la salle du trône et des grands appartements. 

On a admiré l’extrême variété des choix décoratifs et techniques ; l’empereur ayant désiré en faire un conservatoire des anciens savoir-faire. Des motifs stylisés semblent annoncer les années 30, alors que les fleurs au naturel abondent, ou l’imitation de la dentelle. Les couleurs sont vives et au lieu d’un vert Napoléon ennuyeux, l’imagination et les couleurs débordent d’exubérance. Jean Vittet a repéré des dessins de Percier préliminaires à la commande. Des projets peints ont été présentés par Jean-François Bony (1754-1824), excellent peintre et “virtuose de la broderie”, dont on peut voir l’album d’une flore dessinée avec beaucoup de tempérament et le tableau d’un très ambitieux bouquet de fleurs. Sa firme Bissardon, Cousin & Bony est le deuxième fournisseur de Versailles, en particulier pour le grand appartement de l’impératrice. Le décor du cabinet de repos du petit appartement de Marie-Louise est son chef d’œuvre : sur un fond blanc se détachent des fleurs au naturel qu’animent des papillons et des petits oiseaux qui volètent, alors que d’autre cantonnent les bouquets.

L’exposition est complétée par l’évocation du décor tissé du domaine de Trianon et du hameau de la reine, avec en particulier des toiles peintes par Vauchelet.

L’empire s’effondra avant la mise en place du décor dans un palais qui ne fut jamais transformé et agrandi. Les destinées des soieries, emmagasinées au Garde-Meuble, fut de servir à divers usages. Les N et les abeilles furent coupées. Un étonnant ensemble de vêtements liturgiques, offerts par Louis-Philippe à la cathédrale de Versailles, fait face à un confortable fauteuil Napoléon III.

La visite s’achève par la traversée du petit appartement de l’empereur au Grand Trianon, où on remarque les retissages réalisés dans les années 1960 d’après les soieries originales, dont certains exemples apparaissent à titre de comparaison dans l’exposition.

À l’issue de la visite de l’exposition sur les soieries impériales à Versailles, Marie-Laure de Rochebrune, conservatrice générale au musée des châteaux de Versailles et Trianon, nous a présenté la table servie qu’elle a disposée dans un des salons du Petit Trianon, grâce à un ensemble de porcelaines récemment entrées au château, qu’elle a spécialement étudiées. La dation de 75 pièces de porcelaine de Sèvres, unies à quinze autres qui faisaient déjà partie des collections du musée, permet de montrer au public une grande partie d’un service exceptionnel, livré à Marie-Antoinette en 1782 pour vingt-quatre convives. Le décor élégant et raffiné de perles et barbeaux (le nom du bleuet) été réalisé à partir de novembre 1781 par vingt-huit peintres, dont M.-L. de Rochebrune a montré les différences de qualité. Témoins du goût de la reine pour les motifs de bleuets, les harmonies colorées où dominent le bleu et le vert, soulignés par l’or, sont d’une extrême délicatesse. Le service présenté comporte 53 pièces destinées aux desserts, assiettes, mais aussi de nombreuses pièces de forme. Par la disposition sur la table, ornée des couverts, chandeliers et surtout, des dessertes et consoles, le visiteur semble invité au festin royal. D’autant que fruits et gâteaux en cire lui donnent l’illusion de participer à l’art de vivre à la française du XVIIIe siècle.

Compte-rendu par Geneviève Bresc-Bautier.

Références :

Muriel Barbier et Noémie Wansart (dir.), Soieries impériales pour Versailles, collection du Mobilier national, catalogue d’exposition, Coédition Réunion des musées nationaux – Grand Palais / musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, 2024, 216 pages.

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