La fontaine des Innocents, histoires d’un chef d’œuvre parisien – Visite au musée Carnavalet le 16 mai 2024

Les membres de la SHAF se sont retrouvés le 16 mai 2024 au musée Carnavalet pour visiter l’exposition sur la fontaine des Innocents sous la conduite des commissaires de l’exposition Juliette Tanré-Szewczyk et Sophie Picot-Bocquillon et de Geneviève Bresc-Bautier.
La restauration entamée depuis juillet de l’année dernière, après études préalables, est à l’origine de cette exposition qui présente les multiples états de la fontaine des Innocents. Elle nous conduit au cœur d’un Paris en constante mutation que le monument accompagne. L’accent est mis sur l’œuvre de Jean Goujon dont les reliefs ornent la fontaine depuis le milieu du XVIe siècle. Il est par ailleurs possible d’assister « en direct » au travail d’un restaurateur grâce à un espace ouvert dans le parcours muséal et nous gageons que cette initiative connaîtra un grand succès.
Nous parcourons donc d’abord une présentation de l’œuvre du grand sculpteur de la Renaissance avec le rappel de sa contribution au décor sculpté du Louvre, en collaboration avec l’architecte Pierre Lescot et au jubé de Saint-Germain l’Auxerrois –toujours avec Pierre Lescot- dont on ne peut se lasser d’admirer La Déploration du Christ mort, présent ici avec les reliefs des Évangélistes qui l’accompagnent.
À Pierre Lescot revient peut-être aussi la fontaine des Innocents qui, en 1548, doit remplacer la fontaine médiévale, proche de l’église des Saints-Innocents et du marché central de Paris et qui alimente le quartier en eau.
La nouvelle fontaine se présentait comme une loggia d’où l’on pouvait assister aux processions et aux entrées royales dont celle d’Henri II en 1549. Logiquement, associé aux thèmes aquatiques, le décor sculpté par Goujon déploie nymphes, tritons, dragons marins et autres divinités de l’eau, en bas-reliefs verticaux et horizontaux. Ces derniers, déposés au début du XIXe siècle au Louvre, présentent un état de conservation bien différent des nymphes, restées in situ jusqu’à récemment.
En 1765, les inhumations sont interdites dans Paris. Le cimetière contigu à l’église est fermé ; les ossements rejoignent les catacombes et l’église, elle-même, est détruite. De ce fait, l’emplacement est réaménagé en marché et la fontaine déplacée. Dans les années 1780, elle est transformée en édicule carré, présentant une quatrième face pour le décor de laquelle il est fait appel à Augustin Pajou. Le sculpteur qui, dans les années 1760, s’était inspiré des reliefs de la fontaine pour exécuter, en ronde-bosse cette fois, une gracieuse figure féminine représentant L’Eau, destinée à orner le vestibule de l’hôtel de Voyer d’Argenson, complète donc le décor avec un parfait souci d’adaptation à l’œuvre de son prédécesseur de la Renaissance. Pour cela, il moule la figure de La Paix, sculptée par Goujon à la façade est de la Cour carrée du Louvre. Ainsi, il intègre ses reliefs de trois nymphes aux sculptures déjà présentes sans renoncer à son style propre.
Une nouvelle grande transformation touche cette partie de Paris lorsqu’au début du règne de Napoléon III, les halles de Baltard remplacent le marché des Innocents. La fontaine est alors démontée et déplacée dans un square arboré et garni de pelouses, dû à Gabriel Davioud, l’actif ordonnateur des promenades et plantations du second Empire.
Le bouleversement du quartier des Halles des années 1970, avec la destruction des halles Baltard, entraîne une réédification du soubassement gradiné de la fontaine, cernée par un bassin circulaire. Enfin, dès la fin des années 2010, il est décidé de procéder à la restauration de la fontaine dont l’état était dégradé. Son aboutissement est prévu pour cette année.
Une partie de l’exposition dévoile l’engouement du XIXe siècle pour l’édifice qui figure dans le florilège des monuments parisiens. On la trouve représentée sur de la toile de Jouy, des alphabets, des jeux de l’oie, des cartons à découper et assembler ainsi que d’autres souvenirs et jeux divers.
Grâce aux progrès techniques, elle peut être reproduite dans des tailles et matériaux variés, ce qui facilite sa diffusion. Les moulages, gravures puis photographies des reliefs participent à son succès et, figurant dans les écoles d’art, contribuent à la formation des artistes. Le fondeur Barbedienne s’en empare et les transcrit en bronzes d’ornement.

Son influence est indéniable sur des artistes comme Moitte, transformant les nymphes de Goujon en figures masculines aux poses maniéristes pour le tombeau du général Desaix, comme Ingres et La Source ou encore Antoine Bourdelle et Le Crépuscule destiné à orner la façade de la maison de la veuve de l’historien Michelet à Vélizy, Montalbanaise comme lui.
De nos jours, l’emprise de Jean Goujon est toujours sensible avec des artistes du Street art, tels Alain Jacquet ou Invader qui, par la médiation de La Source d’Ingres, perpétuent indirectement son œuvre.
Compte-rendu par Hélène Guicharnaud

Références :
Valérie Guillaume, Véronique Milande, Emmanuelle Philippe, Sophie Picot-Bocquillon, Juliette Tanré-Szewczyk (dir.), La Fontaine des Innocents : Histoires d’un chef-d’œuvre parisien, Musée Carnavalet, Paris Musées, 2024, 192 pages.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Brice Leibundgut (17 mai 2024). La fontaine des Innocents, histoires d’un chef d’œuvre parisien – Visite au musée Carnavalet le 16 mai 2024. Société de l’Histoire de l’Art Français (SHAF). Consulté le 10 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/11olj
